Mission au pays des Bamoun au Cameroun, au cĆur de la lutte contre le rĂ©chauffement climatique
1 mars 2023
Quelques Ă©lĂ©ments de contexte avant de dĂ©marrer : moi, câest Margaux. Je suis associĂ©e de Chacun Son CafĂ©, une entreprise B Corp qui propose un cafĂ© au bureau protecteur du climat et de la biodiversitĂ©. Mon job : dĂ©velopper le projet au quotidien aux cĂŽtĂ©s de Marc Gusils, son dirigeant (en chemise blanche sur la photo).
Pour ceux qui ne le connaissent pas, je vais tenter de vous le dĂ©crire : passĂ© dâun poste stratĂ©gique chez Yves Saint-Laurent Ă lâentrepreneuriat Ă impact, câest le genre Ă relever nâimporte quel dĂ©fi. Sa corde sensible : lâinjustice. Et quoi de plus juste que la lutte pour le climat ? Aujourdâhui, son crĂ©do câest : âon ne va pas sauver le climat mais on va quand mĂȘme le mettre au centre de notre businessâ. Donc le gars veut sâoccuper du climat, mais en plus il tâexplique quâil veut faire des profits de dingue.
Certains le prennent pour un fou, dâautres pour un gĂ©nie (je fais plutĂŽt partie de cette Ă©quipe). Mais en rĂ©alitĂ©, ce qui est vraiment dingue, câest quâil te dit âon va faire çaâ, et 3 mois plus tard, on lâa fait.
DĂ©but 2022, il mâannonce quâil a dĂ©cidĂ© de faire pleuvoir au Cameroun comme il y a 15 ans en redĂ©ployant la forĂȘt, parce que dit-il : âce nâest pas la pluie qui fait pousser les arbres, mais les arbres qui font tomber la pluieâ. Il ajoute quâon va planter tellement dâarbres quâil nây a pas de raison que la pluie ne revienne pas comme avant.
ConcrĂštement, ça veut dire : faire pleuvoir un mois plus tĂŽt qu’actuellement, parce que chaque annĂ©e, la pluie vient un peu plus tard. Vous m’accorderez que tout le monde nâa pas un boss qui lui dit âton job câest de faire pleuvoirâ… mais pourquoi pas, câest un dĂ©fi plutĂŽt sympa !
Bref, nous voilĂ partis pour le Cameroun oĂč rĂšgne une forĂȘt tropicale devenue aujourd’hui le premier poumon vert de la planĂšte : la forĂȘt du Bassin du Congo.
Marc a dĂ©cidĂ© que sâen soucier devait ĂȘtre notre enjeu principal, et vu le contexte, je ne rechigne pas Ă la tĂąche : Ă situation exceptionnelle, objectifs exceptionnels.
Pour y arriver, on se fait accompagner par Elarik : un mec de 25 ans dâexpĂ©rience dans l’ingĂ©nierie et l’incubation de projets dans les pays aux populations prĂ©caires avec un savoir-faire de dingue, et qui nâa pas fait de cette mission un truc de touriste.
Au Cameroun, nous avons retrouvĂ© SoulĂ©, qui est Ă l’origine de tout. Câest lui qui a créé la coopĂ©rative de cafĂ© Terra Noun dans le sultanat du Noun, qui est au Cameroun un peu ce que Monaco est Ă la France ! Mais sans les casinos, les voitures de luxe, les yachts et le Grand Prix de F1. Ce quâon y trouve est beaucoup plus prĂ©cieux : une forĂȘt tropicale stratĂ©gique pour notre planĂšte, parce quâelle est notre poumon.
Pour Marc, câest un peu comme si on allait chercher des diamants. Pas pour devenir riche, mais pour sauver l’humanitĂ© et le monde du vivant. Evidemment, ce nâest pas une Ă©niĂšme promesse marketing. Marc ne se fait aucune illusion et il n’est en vrai pas trĂšs optimiste sur la suite concernant la planĂšte, mais comme il dit âje nâarrive pas Ă ĂȘtre cyniqueâ.
VoilĂ , nous sommes au complet pour notre mission.
Câest dans les fermes, au cĆur de la ruralitĂ©, que le travail commence.

LâidĂ©e, câest de rencontrer les acteurs avec qui nous allons collaborer sur ce projet et monter un partenariat, parce que ce nâest Ă©videmment pas avec nos petites mains que nous allons sauver la forĂȘt. En premiĂšre ligne, les fermiers qui fournissent certains de nos cafĂ©s, avec un objectif Ă partir de maintenant : transformer chacun dâentre eux en garde forestier.
Câest lĂ quâElarik va dĂ©ployer toute son expĂ©rience et son talent : organiser des âfocus groupesâ avec les fermiers, les chefferies du village et de la rĂ©gion, les associations, et toutes les parties prenantes qui vont rentrer dans le projet pour construire des diagnostics. Il sâagit de comprendre quel type de parcelle on va dĂ©velopper, quelles essences on va sĂ©lectionner, quelles espĂšces on va faire cohabiter, le nombre dâarbres que lâon peut planter sur un hectare, la distance nĂ©cessaire entre chaque plant, arbitrer entre les arbres dĂ©diĂ©s Ă lâalimentation, les arbres dĂ©diĂ©s Ă la couverture pour faire baisser les tempĂ©ratures et protĂ©ger les cafĂ©iers, les plants de cafĂ© dĂ©diĂ©s Ă lâexportationâŠ
Pour rĂ©sumer : comprendre par quel bout il faut prendre les choses pour faire de cette forĂȘt la chose la plus prĂ©cieuse au monde pour les communautĂ©s locales.
L’objectif : trouver comment la protĂ©ger dâune part, et comment la redĂ©ployer pour quâelle regagne les espaces perdus dâautre part.
Donc voilĂ : Elarik enchaĂźne les sĂ©ances de 4 heures, pour, groupe aprĂšs groupe, se construire une reprĂ©sentation du problĂšme, commencer Ă avoir des hypothĂšses de travail et Ă©laborer des solutions que lui donnent en rĂ©alitĂ© les fermiers. Son art, câest de les faire parler et imaginer des solutions pour la forĂȘt. Il faut avouer quâil est impressionnant dans sa capacitĂ© Ă communiquer avec ces communautĂ©s et Ă devenir un des leurs. 25 ans dâexpĂ©rience, ça se voit et ça sâentend.

LĂ oĂč il mâimpressionne, câest quâaprĂšs une journĂ©e de boulot et un dĂźner Ă l’hĂŽtel, il va rĂ©diger le rapport de la journĂ©e Ă genre 23 heures, alors que moi je suis KO Ă 21h00. Nos journĂ©es sont super intenses, entre le programme chargĂ©, les rencontres, mais aussi et surtout les dĂ©placements de villages en villages avec des routes de terres pleines dâorniĂšres. On sort Ă chaque fois de la voiture cassĂ©s, surtout quand on est 7 assis dedans au lieu de 5 (spĂ©ciale dĂ©dicace Ă tous les agents de police Ă qui on a dĂ» glisser un petit billet pour continuer la route).
Et oui, si vous vous imaginez que sâoccuper du climat câest comme dans les powerpoints de prĂ©sentations marketing , on nây est pas du tout !
Alors, la lutte pour le Climat, comment ça se passe en vrai ?
LĂ on nâest plus dans le bla bla et le monde des bisounours : on va faire pousser des arbres et eux, ils sâen fichent du marketing.
Suite aux rencontres sur le terrain et aux focus groupes, on sent que de part et dâautres des espoirs et des attentes naissent, et avec eux la responsabilitĂ© pour nous de ne pas dĂ©cevoir. Le mot engagement prend une autre dimension, on est dans le rĂ©el. Câest Ă la fois exaltant et en mĂȘme temps pressurisant : il va falloir assurer derriĂšre.
Certains nous font dâailleurs bien comprendre quâon nâest pas les premiers âblancsâ Ă venir et promettre des choses, ils en ont dĂ©jĂ vu passer un certain nombre. Marc dĂ©veloppe une vision guerriĂšre de ça, il sait que câest une bataille et surtout une bataille contre le temps.
On nous amĂšne ensuite rencontrer le chef. On nous fait asseoir dans une piĂšce. Attention : la maison a du bĂ©ton au sol, normalement, câest de la terre battue. Ici il y a du standing ! Nous entendons palabrer dans la piĂšce dâĂ cĂŽtĂ©, et attendons comme des enfants assis sur nos chaises respectives sans bouger. Le temps nous semble long, on se demande vraiment ce qui nous attend. Je ne le sais pas encore mais ça va ĂȘtre une sacrĂ©e rencontre.

Le chef NJ Tahpon arrive, trĂšs simplement et en mĂȘme temps nous ressentons son charisme et le poids du protocole. J’ai lâimpression de rencontrer la force tellement il est calme, posĂ© dans son expression. Il maĂźtrise lâart oratoire Ă la perfection et nous explique lâhistoire Ă©conomique de la rĂ©gion, son dĂ©clin et ses enjeux. Câest dâun rĂ©alisme frappant. Nous lui expliquons notre projet, nos objectifs et sollicitons son soutien. Bien quâil ne se fasse aucune illusion lui non plus (ça doit ĂȘtre un truc de chef ça), il nous lâaccorde. En mĂȘme temps, nos intentions sont louables, il nâa aucune raison de nous le refuser.
Pour rĂ©aliser ce projet, je vous le rappelle : âfaire pleuvoirâ, nous allons avoir besoin de toutes les forces en prĂ©sence, et notamment des fermiers qui sont les propriĂ©taires de terres.
La rĂ©gion compte 1,5 million dâhabitants. L’objectif du voyage Ă©tait de savoir si notre idĂ©e tenait debout et ça, ce sont les communautĂ©s locales qui allaient nous le dire. Soit elles adhĂ©raient, soit elles nous mettaient gentiment dehors. AdhĂ©rer voulait dire quâelles dĂ©cidaient de porter le projet, le piloter et le dĂ©ployer car sans elles, il nây a pas de projet possible. Et ça, câest le job de SoulĂ©.
Enfant du pays, il a prĂ©parĂ© sa communautĂ© Ă ce projet. Câest grĂące Ă lui et Ă son travail de longue haleine qu’aujourd’hui, ils sont mobilisĂ©s autour de lâidĂ©e que leur forĂȘt est leur avenir et quâils en sont les gardes forestiers. La clĂ© : avoir trouvĂ© des modĂšles Ă©conomiques qui permettent de nourrir localement, dâamener des revenus et notamment des devises, de prĂ©server la forĂȘt existante, de la redĂ©ployer lĂ oĂč elle a Ă©tĂ© grignotĂ©e et de ramener la biodiversitĂ©.

Puis, mon highlight de la mission :
On me confie la mission de parler aux femmes, parce que je suis moi-mĂȘme une femme et que jamais elles ne se confieront Ă un homme sur les sujets dont on a parlĂ©.
Elarik et Marc mâont dit âMargaux, tu vas rencontrer ces femmes et les Ă©couter. Elles sont Ă la tĂȘte dâassociations qui reprĂ©sentent 40 000 femmes dans la rĂ©gion. Wahou me voilĂ avec des responsabilitĂ©s et surtout dans l’inconnu total, je nâavais jamais fait ça.
Elles mâont demandĂ© de faire sortir les hommes. Nous Ă©tions dispersĂ©es dans la piĂšce, nous nous sommes toutes rapprochĂ©es et assises les unes Ă cĂŽtĂ© des autres pour discuter. Elles Ă©taient comme de vraies matriarches, avec une autoritĂ© naturelle Ă faire rĂȘver. Silencieuse, je me suis sentie transpercĂ©e.

Elles mâont expliquĂ© les problĂšmes qu’elles rencontrent, dĂ©crit des scĂšnes de leur vie quotidienne, de leur intimitĂ© et de ce que cela engendrerait comme problĂšme. Jâai bien compris que cela n’Ă©tait vraiment pas simple pour elles dâen parler, mais elles mâont fait confiance durant cet instant.
Cette confiance vous place comme une privilĂ©giĂ©e, mais elles ne l’ont pas fait gratuitement. Elles attendent quelque chose en retour, donc maintenant jâai une mission : les aider Ă trouver des solutions.
Vous allez me dire : mais quel est le rapport entre ça et le climat ? Logique, lĂ -bas ce nâest pas comme ici. Il faut que les populations constatent une amĂ©lioration de leur vie sinon elles nâadhĂšreront pas au projet dans la durĂ©e, et en plus rien ne peut se faire sans l’approbation des femmes.
En rĂ©alitĂ©, il nây a pas de justice climatique sans justice sociale, câest Ă©crit noir sur blanc dans le rapport du GIEC.
Sâagissant des femmes, ça veut dire Ă©viter dâĂȘtre confinĂ© chez soi 1 semaine par mois pendant ses rĂšgles parce que lâon ne dispose pas de protection hygiĂ©nique. En avoir, ça change vraiment votre vie. Ăa Ă©vite de dĂ©scolariser les jeunes filles, ça donne aux femmes lâopportunitĂ© de travailler aux champs. En rĂ©sumĂ© : ça rĂ©pare une injustice liĂ©e au genre.
Sur ce, on continue !
AprÚs plusieurs jours au village en pleine brousse, nous avons rejoint Yaoundé pour rencontrer les grands bailleurs de fonds nationaux et internationaux. Un projet comme ça, ça coûte cher. Il va falloir des sous et pas mal de sous pour sauver le climat. Planter des arbres, ça a un coût.
Donc, 1er rendez-vous Ă l’antenne de la communautĂ© europĂ©enne ! TrĂšs drĂŽle, notre interlocutrice connaissait Elarik. Ils avaient collaborĂ© quelques annĂ©es auparavant Ă HaĂŻti. Nous avons parlĂ© de la feuille de route de la filiĂšre cafĂ© du Cameroun et comment y participer.
Nous sommes ensuite passĂ©s d’organismes en organismes, avec lâenjeu de comprendre ce quâils financent et quelles sont les conditions d’Ă©ligibilitĂ© des financements. Notre job, câest de rendre les communautĂ©s des villages que nous avons rencontrĂ©es Ă©ligibles Ă ces aides pour quâen contrepartie elles s’occupent de la forĂȘt.

Pas si mal le deal !
Donc la premiĂšre partie du voyage consistait Ă rĂ©colter l’info pour comprendre comment bĂątir les diffĂ©rents projets. Je ne vous ai pas tout racontĂ©, mais nous avons dĂ©terminĂ© 3 axes de travail :
1. Travailler sur la filiĂšre. Il sâagit par exemple de remplacer les engrais de synthĂšse par des engrais naturels âbiosâ, fabriquĂ©s sur place.
2. La formation à trÚs grande échelle des 52 000 fermiers de la région.
3. Les projets sociaux pour les communautés.
Nous sommes aussi passĂ© voir le CIRAD et lâIrad. Eux, ce sont les techniques agricoles, avec un vrai centre de recherche. Sans eux, pas de performance agricole, pas de rendement, pas dâavenir. Ce sont les ingĂ©nieurs agronomes et croyez-moi, le bio d’aujourd’hui nâa rien Ă voir avec le bio dâil y a 50 ans. Il sâagit de d’une agriculture extrĂȘmement technique dâoĂč la nĂ©cessitĂ© stratĂ©gique dâun plan de formation et de la crĂ©ation dâune ferme Ă©cole. La nĂŽtre dispose dĂ©jĂ de 29 hectares, mais l’idĂ©al serait de la porter Ă 50 hectares. Cela permettrait de la rendre autosuffisante et par consĂ©quent pĂ©renne.
Oui, nous voulons que notre action soit pĂ©renne, ça aussi câest une petite marotte de Marc, sinon tu ne sers a rien dit-il.
Et câest aussi pour ça que jâai vraiment envie dâĂȘtre lĂ âŠ
Et jâespĂšre que vous aussi !

VoilĂ pour ce premier jet, qui reprend quelques moments clĂ©s du voyage, avec lâobjectif de vous faire comprendre ce quâil y a derriĂšre.
Alors, si vous voulez participer et mâaider Ă faire mon taff de chamane de la pluie : câest trĂšs simple, commencez par boire notre cafĂ© ! Et si vous voulez aller plus loin, câest par ici que ça se passe : https://actfornoun.chacunsoncafe.fr/